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Une scène du film «Mille secrets mille dangers» de Philippe Falardeau, adaptation du roman d'Alain Farah.
Une scène du film «Mille secrets mille dangers» de Philippe Falardeau, adaptation du roman d'Alain Farah.


“Lovely Day”: Marriage, Anxiolytics, and a Knotted Gut

François Lévesque

4–5 minutes


Pour Alain, c’est un beau jour, un grand jour. Du moins, ce devrait l’être, puisqu’il se marie à Virginie. Or, dans les faits, Alain est en proie à une anxiété dévorante. Entre ses intestins noués par une maladie de Crohn dont il n’ose parler, la perspective d’une énième querelle entre ses parents divorcés et son incapacité à s’ouvrir de tout cela à sa fiancée, Alain est sur le point d’imploser. Son meilleur ami Édouard à ses côtés, voici que le marié se remémore des moments clés de son enfance et de son adolescence. Avec Mille secrets mille dangers, Philippe Falardeau adapte avec finesse, humanité et drôlerie le roman à succès d’Alain Farah.


L’auteur a d’ailleurs coscénarisé avec le cinéaste, ce qui a permis au film d’extraire la substantifique moelle du livre tout en bonifiant le récit d’éléments inédits (comme le confiait récemment le cinéaste au Devoir). Campé au sein de la communauté libanaise, le parcours aussi anxiogène que comique du protagoniste s’avère tout à la fois spécifique et universel.

Si plusieurs se sentiront interpellés par le thème de l’anxiété, que le film approfondit en trois époques, sans doute le thème de la famille et du rapport aux parents sera-t-il le plus fédérateur.


Reprenant la structure non linéaire du livre, le film se déroule dans un désordre qui n’est qu’apparent. Ainsi un événement survenu d’abord, mais présenté après coup, vient-il expliquer un développement ultérieur présenté en premier. De la même manière, les souvenirs fragmentaires, tels les morceaux d’un casse-tête qui s’assemblent graduellement, permettent de mieux comprendre Alain : d’où lui vient cette anxiété délétère, d’où lui vient cette sourde colère.

Toutes ces réminiscences qu’Alain garde en lui, et auxquelles il demeure accroché alors même qu’il devrait exulter de bonheur, symbolisent ce trop-plein qui lui gonfle les tripes. C’est ce qu’il réprime.


S’il espère enfin s’épanouir en tant qu’adulte, ce que représente son mariage à Virginie, Alain, un adulescent de 28 ans, devra accepter ce passé, faire la paix, puis se concentrer désormais sur ce qui se trouve devant lui.

En choisissant un cadre d’image serré, le réalisateur de Congorama, Monsieur Lazhar et My Salinger Year (Mon année Salinger), transmet habilement au public l’impression d’étouffement que ressent Alain. Pour autant, c’est plein de chaleur, de fous rires, et de ce bel esprit que l’on connaît à Philippe Falardeau.


Collaborateurs hors pair

Très solaire le jour, avec son abondance de reflets d’objectif (« lens flare » ou « facteur de flare »), et quasi magique la nuit, avec sa profusion de petites lumières, la formidable direction photo d’André Turpin (Incendies ; Mommy ; Simple comme Sylvain) aide le film à ne jamais trop sombrer dans la gravité (sauf, à dessein, lors d’un souvenir particulièrement dramatique se déroulant dans un crépuscule presque gris).


Chapeau également à la conception artistique incroyablement authentique d’André-Line Beauparlant (Les affamés ; Viking ; Bergers). Sans oublier le superbe travail de montage d’Elric Robichon (Isla blanca ; Festin boréal) ni la musique évocatrice et propulsive de Martin Léon (Guibord s’en va-t-en guerre ; Embrasse-moi comme tu m’aimes).


Philippe Falardeau a en outre réuni une distribution composée, exception faite de Rose-Marie Perreault et Paul Ahmarani, d’interprètes peu connus. Dans le rôle principal, Neil Elias est parfait de stress de plus en plus mal contenu, de nuances de détresse tue…


Dans le rôle d’Édouard, un jeune homme bien intentionné, mais manquant singulièrement de jugement, Hassan Mahbouba est savoureux. En père du marié, Georges Khabbaz exsude un mélange de sérieux et de tendresse vraiment touchant. Quant à Hiam Abou Chedid, elle est mémorable en mère superstitieuse (sa reprise a cappella de Mon amie la rose : grosse émotion).


Bref, vive les mariés, et vive Mille secrets mille dangers.


Pénélope (Rose-Marie Perreault) dans Peau à Peau, de Chloé Cinq-Mars
Pénélope (Rose-Marie Perreault) dans Peau à Peau, de Chloé Cinq-Mars


“Nesting”: motherhood in the blood

François Lévesque


Des pleurs de bébé déchirent la nuit. Une jeune femme ouvre les yeux : elle se prénomme Pénélope et paraît épuisée. À ses côtés, son conjoint dort. Elle lui demande d’aller s’occuper de leur enfant « pour une fois ». En vain. La mère se lève donc et, pour tromper la canicule urbaine, part se promener avec le poupon. S’ensuit un événement traumatique qui fera ressurgir le souvenir d’un autre drame. Graduellement, Pénélope sombre dans la paranoïa et les hallucinations. Avec Peau à peau, Chloé Cinq-Mars explore la dépression post-partum à travers un thriller psychologique aux accents horrifiques.


Lauréat à Fantasia du prix de la meilleure réalisation pour un film canadien, ce premier long métrage écrit et réalisé par la cinéaste a l’heur d’intriguer. Chloé Cinq-Mars se montre habile à distiller des indices juste assez cryptiques (symbolisme allusif, retours en arrière fragmentés) laissant présager que quelque chose dans le passé de Pénélope essaie de refaire surface. Parlant de « refaire surface » : l’eau est un motif récurrent dans le film.

Pour demeurer dans un champ lexical de circonstances : la protagoniste surnage à peine lorsqu’on la rencontre. La suite tient d’une lente et agonisante noyade présentée avec un mélange d’urgence et d’empathie.

À ce propos, bien qu’il s’agisse d’une pure fiction, la scénariste-réalisatrice a puisé une partie de son inspiration dans sa propre dépression post-partum, comme elle le confiait au Devoir.


Ainsi Chloé Cinq-Mars évoque-t-elle avec ingéniosité les sentiments simultanés, et croissants, d’aliénation, d’étouffement et de claustration, qui oppressent Pénélope. Dans ses déambulations nocturnes dans un appartement où les ombres semblent se refermer sur elle, lors de ses errances urbaines et sylvestres réelles et fantasmées, par l’entremise de gros plans de son visage de plus en plus angoissé, Pénélope est isolée au propre et au figuré.


L’ensemble foisonne de bonnes idées, comme ce plan du bébé à la bouche maculée de sang : la cause en est un mamelon blessé, mais l’image renvoie au vampirisme et constitue une manifestation physique du drainage que ressent — et ultimement nomme — Pénélope.

Rayon influences, ça va de A Woman Under the Influence (Une femme sous influence), à Repulsion (Répulsion), en passant par Suspiria.


Cauchemar culpabilisant

Habitée, fiévreuse, Rose-Marie Perreault (Les faux tatouages ; Mille secrets mille dangers) convainc de bout en bout.

Si l’on peut initialement trouver que la cinéaste force le trait quant à l’égocentrisme du conjoint et au manque de sensibilité de la belle-mère, on finit par prendre conscience que l’action est exclusivement relatée du point de vue de Pénélope. Or, considérant son état, ce point de vue n’est pas fiable. De fait, le regard devient plus nuancé à la fin.


Bref, là encore, c’est astucieux.


Idem pour cette sous-intrigue avec une ancienne flamme. Laquelle sous-intrigue permet d’évoquer « l’ancienne vie » passionnée d’une Pénélope qui, à présent, ploie sous un statut de mère qui la définit unilatéralement.


Et c’est au fond cela, le vrai cauchemar culpabilisant. À savoir que la maternité, ce bouleversement aussi profond que soudain, et obligatoirement merveilleux selon les diktats ambiants, peut, dans certaines circonstances, s’apparenter à un enfermement. D’où la force tranquille du dernier plan.


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Nesting, directed by Chloé Cinq-Mars and edited by yours truly, returned from the last Fantasia International Film Festival with the awards for best Canadian film and best director.


L'équipe de Peau à Peau à la Première Mondiale, Fantasia 2025.
L'équipe de Peau à Peau à la Première Mondiale, Fantasia 2025.


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